Nos territoires souffrent très rapidement et avec des effets démultipliés, des “incidents” internationaux : la guerre en Ukraine, la crise Covid, le blocage du Canal de Suez …
Le premier défi pour “produire local” est de surmonter d’importantes difficultés et “surcoûts induits par “l’ultrapériphéricité” des outremers (éloignement des centres d’approvisionnement, exiguïté des marchés, absence de capacité d’économie d’échelle…). Les entreprises du secteur productif ultramarin sont aussi, surtout, confrontées à la pression concurrentielle des importations, dans tous les domaines.
Différents mécanismes existent pour compenser ou limiter ces handicaps et cette pression, sans pénaliser le consommateur. Mais l’enjeu pour les producteurs locaux consiste aussi à valoriser leurs produits auprès des consommateurs, tentés par les biens de consommation proposés par les grandes multinationales, produits à très grande échelle et marketés au niveau mondial.
Comment exister quand on est tout petit et ne pas être dilué dans un marché globalisé, même dans les outremers ?
1. Les notions clés de la valorisation de la production locale
En France et en Europe, de nombreux logos permettent de distinguer les produits entre eux, faisant référence à un ou plusieurs critères, qu’ils soient liés au produit ou à la géographie. On peut citer par exemple :
- Les mentions valorisantes (“Produit de montagne”, “Produit fermier”, “Produit pays”),
- Les signes d’identification de la qualité et de l’origine ou labels publics (AOP, AOC, IGP, Label Rouge…),
- Les certifications de conformité,
- Les mentions et logos définis au niveau européen, tel que le Logo RUP, développé spécifiquement pour valoriser les produits ultramarins dans leur commercialisation sur le continent (mais qui reste peu utilisé).
Il faut également citer les dénominations, apposées par le commerçant :
- Les marques simples (individuelles), telle que “Carrefour Bio”,
- Les marques collectives, telles que “Nou La Fé” (La Réunion), “Produit de Bretagne”,
- Les labels privés,
En synthèse et pour simplifier le débat, 2 dispositifs (la marque et le label) sont régulièrement évoqués pour dialoguer avec les acteurs qui souhaitent créer un dispositif qui leur serait propre. Et on distingue généralement marque et label selon quelques critères simples :
- La marque identifie l’entreprise / le producteur, dans un but marketing et commercial, sans certification d’une caractéristique donnée d’un produit. Les produits arborant des marques collectives indiquent une origine (appartenance à un territoire ou à un collectif d’entreprises) et le partage de valeurs communes,
La marque collective peut reposer sur un cahier des charges plus ou moins sélectif. Certaines peuvent être très vertueuses (favorisant notamment des démarches RSE) et ainsi viser l’intérêt général ; il existe même des marques collectives qui peuvent bénéficier d’une image officielle lorsqu’elles émanent d’entités publiques (ex. : la toute prochaine “marque France”)
- Un label identifie un produit par rapport à un autre en mettant en avant ses spécificités, afin d’engager sur sa qualité, dans un but d’intérêt général et/ou commercial. Il repose sur un dispositif dont la marque n’est que la partie visible (marque de garantie); il porte une promesse de garantie qui est la traduction du dispositif sur lequel il repose (associant des critères objectifs et une procédure de candidature volontaire à un processus d’évaluation indépendant et renouvelé dans le temps). Enfin, un label (public) a une finalité tournée vers l’intérêt général, c’est-à-dire au bénéfice de tous, par opposition à une finalité commerciale ou commune à un groupe restreint d’acteurs.
2. Pourquoi aller vers une stratégie de valorisation collective ?
Les acteurs qui entament des démarches de valorisation peuvent avoir des ambitions diverses mettant en valeur tantôt l’entreprise et tantôt la production, qui n’engagent pas les mêmes critères ni le même dispositif de valorisation.
Les intérêts à s’engager dans ce type de démarche sont nombreux. On peut ainsi vouloir :
- Gagner en notoriété et visibilité sur un territoire, avec la promotion de la diversité et de la typicité des produits,
- Gagner en légitimité, avec le respect de normes exigeantes encadrées par un cahier des charges,
- Valoriser un engagement social et environnemental, en faisant preuve de transparence envers l’ensemble de son écosystème (consommateurs, partenaires, fournisseurs, salariés …) sur ses valeurs et ses pratiques (identifier clairement les caractéristiques, les modes de production ou les origines des produits),
- Mettre en place des processus de traçabilité, notamment pour structurer une filière,
- Faciliter l’accès à des moyens, notamment financiers, permettant d’engager des actions collectives de promotion de la production (participation à des salons, publicité sur les lieux de vente, démonstrations …),
- Renforcer la légitimité du groupe (d’entreprises adhérentes à la démarche) et permettre d’être considéré comme un interlocuteur crédible par les institutions, notamment les collectivités locales, pour structurer la filière et renforcer la capacité d’accès aux marchés (et spécialement la commande publique),
- Entrer dans un réseau d’entreprises valorisées et reconnues pour leur engagement, permettant d’apprendre les unes des autres mais aussi et surtout de nouer de nouvelles relations partenariales,
- Consacrer des savoir-faire traditionnels spécifiquement liés au territoire,
- Et plus prosaïquement, donner aux producteurs un instrument pour mieux commercialiser des produits différenciés et favoriser leur accès au marché (à la grande distribution et à l’exportation).
La question du marché cible est déterminante. Local ou export ? A priori, les signes distinctifs (marques collectives, mentions valorisantes ou signes et labels d’origine) peuvent améliorer la visibilité des produits sur les marchés internationaux, y compris en mutualisant les coûts relatifs à la prospection, la communication et la promotion des produits à l’international. L’effet levier peut être important pour certains produits dont la notoriété (issue des produits ou de l’entreprise) serait insuffisante.
Néanmoins, cette démarche est rarement compatible avec celle consistant à ancrer une production dans son territoire si le volet “identitaire” est trop marqué. Si l’usage du créole peut donner un côté “exotique” et attractif sur un marché hexagonal, le sens et la portée de la dénomination seront difficilement compris du consommateur lambda, qui n’a pas d’affinité ou d’expérience avec nos territoires. Cependant, l’intérêt d’une marque collective (plus qu’un label dont les modalités sont plus contraignantes) est aussi de pouvoir faire l’objet d’évolutions, pour s’adapter aux besoins et envies des membres, aux marchés cibles et ainsi prendre en compte de nouveaux objectifs au fur et à mesure de l’évolution d’un contexte donné. A La Réunion, la célèbre marque Nou La Fé a engagé une importante réflexion en 2021 et 2022, pour passer du “marketing de la promesse” au “marketing de la preuve” et ainsi consolider l’attachement des consommateurs réunionnais aux produits Nou La Fé, illustrant la qualité des produits locaux et l’engagement des entreprises adhérentes pour le territoire.
Si on s’adresse principalement aux consommateurs, l’équipe en charge du dispositif de valorisation peut ainsi prévoir des actions telles que la mise en place d’un service clientèle mutualisé ou l’organisation d’un événement annuel (élection du produit de l’année organisée sur le site vitrine de la marque). Pour les distributeurs, on peut proposer la désignation d’un interlocuteur unique pour les relations avec les grandes et moyennes surfaces, ou encore l’organisation d’opérations communes de promotion des produits concernés.
3. Quel type de production peut-on valoriser ?
Aujourd’hui, la tendance est à la valorisation de la production locale, ce qui pose la question de sa définition ainsi que celle du type de production à valoriser (produits vs. services).
Les produits locaux, notamment alimentaires, font l’objet d’une attention accrue des consommateurs, des acteurs économiques et associatifs et des pouvoirs publics. Ils apparaissent comme un gage de confiance répondant à un éloignement croissant entre le consommateur et l’objet de sa consommation. Les périodes de crise, comme celle de la Covid-19, accentuent cette demande.
Reste à savoir … ce qu’est qu’un produit “local ».
Un produit est-il considéré comme local dès lors qu’il est issu d’une unité de fabrication localisée sur un territoire ? Cette caractéristique locale doit-elle être fondée sur le pourcentage des intrants locaux ayant servi à sa fabrication ? Un produit obtient-il le statut de “local” dès lors que sa transformation a été réalisée localement, peu importe son origine ? Outre les “ingrédients” ou composants du produit fini, d’autres éléments peuvent-ils être pris en considération (l’outil de production, les emplois induits, les démarches écologiques …) ?
Ce questionnement est d’autant plus critique sur les territoires ultramarins où l’absence de matières premières implique que les importations sont nombreuses et que rares sont les biens de consommations locaux qui n’intègrent pas d’éléments importés, ne serait-ce qu’au niveau du packaging. Et si on n’évoque par l’origine des matières premières, pouvons-nous parler de la mise à l’honneur des savoir-faire des producteurs, de la culture régionale, des techniques particulières traditionnelles, etc. et dans ce cas, via quels critères et indicateurs pouvons-nous les évaluer ?
La définition de la production locale fait même l’objet de controverses au niveau législatif, car elle a des conséquences fiscales par exemple, qui impactent directement les entreprises concernées. Distinguer le négoce, le conditionnement, la transformation et la production … pas si simple …bien au contraire !
De la même manière, comment définir une production de services locale ? Est-ce uniquement par la création d’emplois sur le territoire, par l’origine des salariés, ou encore via le respect de certaines valeurs alignées avec les objectifs stratégiques d’un territoire ?
Enfin, last but not least, un produit et un service peuvent-il être valorisés par un même dispositif ?
On ne répondra pas ici de manière catégorique à ces questions. Selon le contexte de nos clients, les équipes de Verso Consulting contribuent à identifier les priorités des acteurs concernés, évaluent les intérêts et attentes de leurs partenaires institutionnels et socio-économiques et construisent avec eux des dispositifs de valorisation correspondant au meilleur compromis entre tous les partenaires.
4. Quels critères choisir dans le cadre d’une stratégie collective de valorisation ?
La réflexion sur les objectifs d’une démarche de valorisation d’une part, et sur les critères d’autre part, peut permettre de lever certaines contradictions apparentes et faire aboutir une réflexion collective.
ll existe autant de critères que d’individus disposés à y réfléchir pour ainsi dire. L’un des enjeux d’un accompagnement à l’identification d’un dispositif de valorisation est d’abord de faciliter l’émergence de ces critères. Il s’agit ensuite de les prioriser de manière concertée, afin que le résultat final réponde aux objectifs du groupe mais qu’il soit également faisable dans une temporalité raisonnable.
L’une des questions clés dans la réflexion sur les critères d’attribution d’une marque ou d’un label est celle de l’équilibre entre la protection d’une production et le niveau de contraintes généré pour les producteurs, mais pas seulement. En effet, la réflexion sur le choix des critères doit positionner le curseur entre un certain niveau d’exigence et le degré d’impact sur les différents acteurs et sur le marché : risques d’exclusion de certains (par exemple, l’exigence d’un pourcentage élevé de matières premières locales au sein d’un produit transformé risque d’exclure un grand nombre de producteurs existant sur le territoire), implications sur les avantages fiscaux, etc.
Aussi, en même temps que les critères sont identifiés, les implications et risques associés doivent être évalués. Pour prendre un exemple réel, sur la question de la fabrication locale, il a été discuté sur l’un de nos territoires la possibilité de distinguer les produits selon l’origine des matières premières, par un système de note ou de gradient. L’option n’a finalement pas été retenue : elle était complexe à mettre en œuvre sur la durée et menaçait de dévaloriser certains produits auprès des consommateurs. A l’heure de définir des critères de sélection, il importe de se poser la question: qui en bénéficiera ? Mais aussi : qui en pâtira ? Est-ce bon pour le collectif ?
D’autres pistes ont été évoquées, depuis le changement du code douanier d’identification des produits jusqu’aux critères de définition du “terroir”, rendant ultra-localisé le concept… En Martinique, à La Réunion, mais aussi à l’île Maurice et même en Bretagne (dont nos territoires s’inspirent régulièrement sur ces questions), des solutions techniques ont été trouvées, collectivement, pour répondre aux objectifs stratégiques que les groupes d’acteurs économiques locaux s’étaient fixés. C’est tout l’enjeu de ces démarches de valorisation collective.
5. Avec qui et comment engager cette démarche ?
S’engager dans une démarche de valorisation collective de la production locale implique que les choix retenus sont nécessairement le fruit d’une concertation entre les acteurs producteurs, qui eux seuls pourront évaluer l’acceptabilité des impacts de chaque critère envisagé. Il n’y a ainsi pas de modèle clé en main, mais des méthodes, des retours d’expériences, qui permettent de trouver des solutions adaptées à chaque territoire et à chaque collectif.
C’est d’autant plus un enjeu que nos tissus économiques ultramarins concentrent bien souvent de nombreuses très petites structures et quelques plus “grosses” entreprises (quoique cela soit très relatif en regard des groupes multinationaux qui exportent sur nos territoires). Mais nos entreprises sont toutes “dans le même bateau” et doivent nécessairement collaborer pour exister de manière durable.
Ce qui n’empêche pas que certains groupes d’acteurs plus avancés “tirent les premiers” et engagent des initiatives avec lesquelles il faut ensuite naturellement composer. La capacité des acteurs à collaborer, à dialoguer, à faire évoluer leurs démarches initiales ou idées préconçues, est déterminante pour fédérer, structurer et valoriser.
Le risque ? « trop de labels tue le label » !
Bien souvent, on a les mêmes objectifs, mais on veut le faire chacun à sa manière et sans demander son avis à son voisin. Mais en réalité, si chacun part dans une direction opposée ou pire, semblable à celle du voisin, le risque est de perdre le consommateur, qui reste la cible prioritaire, et d’être illisible sur le marché. Le risque est ensuite de perdre en crédibilité auprès des acteurs de la distribution et des pouvoirs publics et finalement, de voir son projet s’éteindre rapidement.
La première étape d’un accompagnement dans ce type de démarche doit donc consister à recenser et interroger les initiatives préexistantes, voir comment fédérer les acteurs qui ne sont pas parties prenantes au projet, dès le départ ou progressivement, en se fixant l’objectif du “jouer groupé”, cher à un ancien leader de l’industrie réunionnaise.
Viendra ensuite, une fois posée le projet et ses règles du jeu, le temps de définir la gouvernance du dispositif, afin que l’esprit de collaboration perdure et que la valorisation collective de la production locale ne soit plus une volonté, mais un réflexe.